Article de Bruno GUIGUE, lu sur Agoravox >>>
La dictée n’est pas un jeu où un système de vases communicants ne ferait que des gagnants sous prétexte de ne vexer personne. Tout au contraire, elle est ce moment de la scolarité où l’on s’assure que les futurs citoyens utilisent la même langue. Elle traduit un double engagement : celui des maîtres, qui s’engagent à transmettre à leurs élèves les règles de la langue ; celui des élèves, qui s’engagent à respecter ces règles.
La dictée n’est pas un jeu où un système de vases communicants ne ferait que des gagnants sous prétexte de ne vexer personne. Tout au contraire, elle est ce moment de la scolarité où l’on s’assure que les futurs citoyens utilisent la même langue. Elle traduit un double engagement : celui des maîtres, qui s’engagent à transmettre à leurs élèves les règles de la langue ; celui des élèves, qui s’engagent à respecter ces règles.
Conscient de l’effondrement de l’orthographe chez les jeunes, le
ministère de l’Education nationale a décidé de réagir. Pour redresser la
barre, va-t-on enfin réformer l’enseignement primaire en le recentrant
sur les « fondamentaux » ? Va-t-on reconsidérer l’entrée en sixième pour
les élèves dont la maîtrise linguistique est insuffisante ? Non, tout
cela peut attendre.
La priorité, c’est de « réformer la dictée » pour arrêter « le
cycle infernal de la peur de la faute ». Comment ? En faisant de
l’évaluation des élèves un acte positif, et non plus un acte négatif. En
distribuant un « plus » lorsqu’une faute n’a pas été commise, et un
« moins » lorsqu’elle l’a été.
Prenons un exemple. Lorsqu’un élève, dans une dictée, fait une
faute lexicale (« siel » au lieu de « ciel ») il a un point en moins.
Mais si, dans la même copie, il fait correctement un accord (« les
nuages »), il a un point en plus. Autrement dit, on entend valoriser
systématiquement l’absence de faute, de manière à « encourager » l’élève
dans sa progression.
Or cette méthode d’évaluation est une aberration pédagogique. Ce
n’est pas en passant de la pommade sur l’ego blessé des enfants et de
leurs parents qu’on enrayera la dégradation du rapport à l’écrit. On
peut s’accommoder de cette situation en considérant que l’orthographe de
nos élèves est celle de demain, et enfouir sa tête dans le sable. Mais
casser le thermomètre ne fera pas chuter la fièvre du malade.
Comme la grammaire, l’orthographe est l’hygiène de la
langue : elle a pour fonction d’en déterminer les règles lexicales. Et
parce que la langue est un code symbolique, nous apprenons son maniement
en bénéficiant des corrections de nos aînés. Aussi ancienne que
l’écriture, la dictée est simplement la meilleure façon de vérifier si
ces corrections ont porté leurs fruits.
Par conséquent, la dictée n’est pas un jeu où un système de vases
communicants ne ferait que des gagnants sous prétexte de ne vexer
personne. Tout au contraire, elle est ce moment de la scolarité où l’on
s’assure que les futurs citoyens utilisent la même langue. Elle traduit
un double engagement : celui des maîtres, qui s’engagent à transmettre à
leurs élèves les règles de la langue ; celui des élèves, qui s’engagent
à respecter ces règles.
De ce point de vue, la notation chiffrée est un procédé rationnel
permettant d’évaluer la progression réalisée par l’élève. Elle reflète
l’estimation objective, à un moment donné, de l’acquisition d’une
compétence particulière : le respect des normes lexicales. Elle procure
un étalon de mesure pédagogique à l’enseignant, et elle fournit un point
de repère indispensable à l’élève.
Car le propre de tout apprentissage, c’est de progresser de manière
itérative, d’erreur en correction, jusqu’à la maîtrise d’un savoir. Si
on lui interdit de se situer dans cette échelle graduée des acquisitions
cognitives, l’élève ne sait plus où il en est. Il est alors victime de
la double ignorance dont parle Platon : il ignore son ignorance.
Il a beau avoir réalisé des acquisitions linguistiques, il n’a plus
aucune idée de la distance qui sépare sa pratique individuelle de la
langue des normes syntaxiques et lexicales qui la régissent. Il parle et
il écrit, certes, mais dans un idiome qu’il est le seul à comprendre,
avec, peut-être, les membres de sa « tribu » linguistique.