lundi 2 juin 2014

ENSEIGNER AUJOURD'HUI ?

CARREFOUR DU FURUR >>>
par Joël de ROSNAY
 
Conférence dans le cadre de l'ANAE (Association nationale des acteurs de l’école) à l'Université d'été de la Communication d'Hourtin, 25 août 2003

Le titre de cet exposé est : « Enseigner aujourd'hui ? ». Avec un point d'interrogation. 
 
Je vais tenter de l’expliciter. L’enseignement, aujourd’hui est mis en cause. Je décrirai des faits et essaierai d’apporter quelques propositions dont nous discuterons ultérieurement.
 
Enseigner signifie des choses différentes pour nous tous. Chacun a une définition, une approche personnelle. Pour moi, ce sont trois concepts intimement liés. Transmettre des connaissances et des savoir-faire en aidant à les intégrer dans une culture du monde qui bouge. Aider à rendre ces connaissances et ces savoir-faire, opérationnels de manière à pouvoir agir sur le monde et mesurer les résultats de son action (être capable d'évaluer). Enfin, donner du sens à son action et, donc, donner du sens à sa vie.
 
Voilà pour moi, les trois grands fondements de l'éducation.
 
Pourquoi ce titre au mode interrogatif ?
Enseigner devient difficile, délicat. La fonction d'enseignant, le métier, l'enseignement au sens large, des petites classes à l'université, sont mis en cause par plusieurs facteurs, par les nouvelles contraintes du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. 
 
Des contraintes temporelles : le conflit entre le temps réel de la télévision et du monde qui va de plus en plus vite, et celui du temps de l'école. Le conflit avec l'autorité, le règlement, l'obligation, à une époque où les valeurs soutenues par plusieurs piliers (dont celles de la famille qui faisait perdurer un certain nombre de principes d’éducation) sont en train de s'estomper. Donc crise de l'autorité. Les contraintes, également, de la complexité, d’un monde de plus en plus divers et multiple, face auquel il faut faire des choix pour savoir quoi enseigner et comment le faire.
 
Je vais développer cinq points principaux.
 
1- En premier lieu, les enjeux et les contraintes de l'enseignement aujourd'hui.


Je résume ces enjeux en trois points: le temps, l'espace, et l'autorité.


D'abord le temps. Pourquoi le situer au nombre des contraintes fondamentales ? Parmi les causes de ce que l’on pourrait appeler la crise de l'enseignement, aujourd'hui ? Parce que les jeunes - et nous, vivons des relations différentes au temps. 
 
La télévision mondiale a créé la notion de temps réel, d'instantanéité des évènements. Internet donne aussi ce sentiment d'ubiquité. On vit face à deux temps constamment en interdépendance auxquels les jeunes sont habitués. Ils acceptent mieux l’un que l'autre, et commencent progressivement à rejeter le second.
 
Je veux parler du « temps long » et du « temps court » Le « temps long », la durée, c'est celle de la formation, de l'école, du cycle, du programme obligatoire. Nous entrons par un bout et nous sortons à un autre bout... Ce « temps long » est séquentiel, linéaire, comme notre vie, il est organisé en heures, jours, semaines, mois, vacances, carrière, retraite... C’est un temps unidimensionnel. Et il est synchronisé par les besoins de la société ; nous sommes obligés de nous couler dans ce moule du temps. Quand on veut suivre un autre schéma, « on n'a pas le temps ». Car il faut trouver le temps à l’intérieur de séquences juxtaposées, et donc en éliminer ou en écarter certaines. Cela demande un effort de choix fondamental que beaucoup ne savent pas, ne peuvent pas ou ne veulent pas faire.
 
Comme ce temps est contraignant, bien des gens, et surtout les jeunes, se réfugient dans un autre temps que j'appellerai le « temps court », c'est-à-dire le temps des évènements, des instants éphémères, qui se remplacent en permanence. Une sorte de « hit parade » du temps, auquel d'ailleurs répondent les jeux vidéo, le surf sur Internet, la télécommande et le zapping à la télévision, les flashes d’informations, les spots de publicité, ou les clips de musique… 
 
Ces mots courts sont dans la logique du « temps court » dont on se grise, sorte de drogue psychologique, toujours renouvelée. Il s’agit non pas de gérer son temps mais de faire le plus de choses possibles dans la diversité des instants. Je pense que la télécommande, le zapping, le replay du magnétoscope, et les jeux vidéo ont changé la culture des jeunes face au temps et donc créé un conflit avec l'école. La relation au temps est différente des époques précédentes, dans la mesure ou, par le zapping, on peut changer de vie ou changer de plaisir. On n'aime pas cette émission ? Clic ! On appuie sur un bouton et on passe à autre chose. Cette notion est ancrée chez les jeunes qu'on forme dans l’environnement « non zappable » de l’école.
 
En effet, on ne peut pas zapper l’école. On ne peut pas zapper le programme. On est là pendant 1 heure ou 2, dans le cadre de la semaine, avec le cahier de textes, les devoirs. On ne peut pas appuyer sur un bouton et changer d’environnement. Ce n'est pas possible. C’est même interdit. Ce qui crée une tension de plus en plus palpable dans les classes. 
 
Deuxième point : pour les jeunes, un événement n'est pas vraiment réel si on ne peut pas le revoir  grâce au « replay ». L'accident de voiture, l'avion qui s'écrase… cet homme qui va mourir sous vos yeux car son parachute ne s'est pas ouvert ; le but qu'on vient de marquer, il faut le revoir..... Le replay a créé une notion de réversibilité qui entre en conflit avec la non réversibilité de la formation dans le cadre de la classe. On ne peut pas revenir en arrière, c'est la filière, on a choisi. D'où la difficulté des choix pertinents, et le fait que beaucoup de jeunes ne veulent pas choisir, ou ne veulent pas chercher à choisir, et se confinent dans une sorte de situation non pas de confort mais de difficulté à décider de la filière à suivre. Parce qu'ils sentent que c'est irréversible.
 
Ces notions de temps et de durée me paraissent importantes. A côté du « temps long » et du « temps court », il faut apprendre ce que j’appelle le « temps large », un temps qui, lui, s'empile, du temps parallèle. Savoir s'organiser pour créer un « capital-temps », avec une bonne bibliothèque, une bonne utilisation d'Internet, un bon réseau de relations, de professeurs, un carnet d’adresses bien rempli. Cette possibilité de créer un capital-temps va générer des « intérêts temporels » c'est à dire du temps qu'on peut replacer, réinvestir d'une manière plus souple que les séquences évoquées précédemment.
 
Ensuite l'espace : Pour les élèves, il a également changé. Mac Luhan l'a expliqué dès les années 60. Pour lui, les enfants vont « brûler les écoles ». Il y aura de la violence dans les classes, parce qu'ils ne pourront plus supporter l'autorité ; parce que leur espace, l'environnement dans lequel ils sont confrontés à l'acquisition des connaissances, est entré en mutation.
 
L'environnement de la classe était riche, varié. Il y avait des cartes de géographie, des squelettes, des grenouilles dans des bocaux, des photos, des films, aux premiers stades de l’audiovisuel. Par contraste, l'environnement extérieur, la rue, étaient pauvres, avec peu de publicité, peu de devantures de magasins attrayantes. Pas d'Internet, pas de télévision avec 100 chaînes, pas de Loft Story en temps réel...
 
On peut constater aujourd'hui que le processus s'est inversé : l'environnement de la rue ou du monde dans lequel vivent les jeunes est très riche, très solliciteur. Il y a beaucoup à voir, depuis les panneaux publicitaires jusqu'aux affiches de cinéma, en passant par Internet, le multimédia, le chat, le SMS, le téléphone portable, les jeux vidéo. Alors que l'environnement scolaire, même s'il a beaucoup progressé (chacun de nous a essayé de le faire progresser à sa manière) est resté plus pauvre. 
 
Il y a donc un décalage entre les espaces où ils vivent et les espaces où ils apprennent. Certains disent : « On va les faire apprendre plus efficacement à la maison en leur donnant les moyens du multimédia, d'Internet, du DVD... » Ce n'est pas une solution et nous en parlerons ultérieurement.
 
Enfin la complexité et l’autorité, troisième contrainte de ces nouveaux enjeux.
La crise de l'autorité se manifeste par la non volonté de reconnaissance de quelque uns à incarner la règle. Ce qui peut contraindre par la punition, à suivre l'école, à faire ses devoirs… Et la famille « ne répond plus ». Il y a une sorte de démission de la famille face à certaines contraintes incarnées par l'école et que beaucoup ne peuvent pas accepter parce qu’elles ne sont pas sous tendues par des valeurs permettant de les faire respecter. 
 
La complexité, aussi, car dans un monde interdépendant où tout agit sur tout en permanence, les matières qu'on enseigne semblent dissociées du réel. Géographie, histoire, mathématiques, physique, chimie, biologie, sciences sociales… on n'a  pas l'impression qu'elles sont connectées entre elles. Alors que le monde dans lequel on vit dégage, au contraire, cette impression d'interdépendance permanente, de l'écologie à l'énergie, de l'énergie à la biologie, de la biologie à l'informatique, de l'informatique aux sciences sociales. Quand on parle de retraite et de vieillissement on parle à la fois d'un problème social, d'un problème économique et d'un problème biologique. Donc tout est interdépendant. Et on enseigne, cependant, des morceaux séparés, une mosaïque du monde.
 
2- Que peut-on faire pour adapter notre enseignement, l'école, les lieux de formation?

Considérons deux entités : l'école et le professeur.
Je ne pense pas qu'il faille suréquiper l'école en nouvelles technologies et que les TIC, comme on l'a cru pendant longtemps, apportent chaque fois un « plus » significatif, comme un coup de baguette magique qui permettrait d'apprendre mieux et plus vite. 

A l'école, lieu d'apprentissage, on doit exercer son raisonnement, sa logique. On fait marcher son cerveau, on s'ouvre ou non aux autres, donc on apprend ou non la tolérance, on apprend ou non la socialisation. C’est un lieu de coéducation, on peut apprendre par les professeurs, mais aussi par les autres. A condition de donner pour recevoir. 
 
Un lieu physique est essentiel à mes yeux, car je ne vois pas les élèves en « stabulation libre » devant un ordinateur en train de pianoter en présence d’un professeur qui regarde de temps en temps ce qu'ils font et essaie d'apprendre de ses élèves car ils en savent parfois plus que lui !
 
Non, je vois la classe comme un lieu unique de relations humaines qui va se doter, s'enrichir de technologies selon les cas et les moyens. La classe du futur, pour moi, n'est pas la classe « high tech » avec des ordinateurs partout et des accès à Internet. Même s’ils sont utiles dans certains cas.
 
Les professeurs, jusqu'à présent, ont été considérés, à la fois, comme les détenteurs des connaissances, les transmetteurs de savoirs (dotés d'une certaine capacité de communication pour expliquer les choses et les rendre plus claires) et les chefs de la classe au sens disciplinaire du terme. Ils sont donc chargés d'une double et difficile fonction : transmettre les connaissances en intéressant leurs élèves, en créant un climat de motivation, de curiosité et d'écoute. Mais ils doivent, en même temps, savoir taper sur la table et punir pour faire respecter le règlement, la discipline. 
 
Or aujourd'hui, compte tenu de l'irruption des technologies, les professeurs deviennent plutôt des médiateurs de connaissances, agissant à un carrefour que j'appellerai le système de communication de la classe, fait d'individualités, de personnalités différentes. Des médiateurs qui, de plus en plus, devront jouer le rôle de catalyseur d'intelligence collective. Ces personnes, par leur formation, leur expérience, vont aider à contextualiser les faits reçus par bribes ou par discipline d'une manière linéaire, dans une vision systémique et interdépendante d'un monde qui change. 
 
Ils sont vraiment des catalyseurs au sens le plus noble du terme. Des personnes capables d'être à la fois des pasteurs et des passeurs. Jusqu'à présent, la grande image du professeur était celle du pasteur : celui qui guide le troupeau, qui rassemble les brebis égarées, qui dépiste les moutons noirs... Ce n'est plus seulement cela. L'enseignant doit être un pasteur, un guide, mais aussi un passeur, celui qui va initier des gens, dans le labyrinthe des connaissances, à trouver leur chemin vers le savoir et vers la lumière. Vers quelque chose qui les ouvre à un monde qu'ils ne connaissent pas, par lequel il faut passer, avec risque, en étant aidé, initié, conduit. Tel est le passeur.
 
La différence entre le passeur et le pasteur réside dans le fait que bien des pasteurs sont prédéterminés ou nommés, alors que nous pouvons tous être des passeurs. D'où l'importance de la coéducation. Un élève peut être un passeur pour un autre élève et nous pouvons, dans nos familles, aider nos enfants à contextualiser les informations qu'ils reçoivent à l'école pour être à leur tour des passeurs vis à vis des autres. Et non pas seulement des pasteurs.
 
3- Les méthodes et les contenus. Comment et quoi enseigner ?

Ce sera le troisième point de mon propos. Telle est, aujourd’hui, la grande question face à la complexité du monde.
Que faire devant l’avènement de l’écologie et de l’informatique ? Ajouter écologie et informatique aux programmes ? On met l'informatique dans les maths et l'écologie dans  géographie, ou dans la biologie, qui existent déjà ? Ou bien on rajoute une discipline ? On va inclure de l'écologie dans la vingtaine d’heures de cours par semaine des élèves ? 
 
Il faut des professeurs d'écologie et il faut les former. Mais qui prend-on comme professeurs d'écologie ? Des gens qui viennent de la géographie? De la biologie? Ou de nouveaux diplômés que l’on forme? Chaque fois qu'une nouvelle discipline apparaîtra, augmentera-t-on les heures de cours ? 
 
On est alors confronté à la crise de ce que j'appelle « l'enseignement encyclopédique » par rapport à « l'enseignement systémique ».
 
L'encyclopédisme consiste à créer des secteurs, des domaines. A distiller de manière taylorienne l’information dans le temps du programme et du cycle, à une certaine dose, qui permet ensuite de vérifier si les élèves en ont acquis une partie. Ceci étant testé de manière quantitative et non qualitative par un l'examen. Avec, d’ailleurs, une limite : on décide qu’ «au dessus » d’une barre arbitrairement fixée, l’élève a la moyenne, et qu’ « en dessous » il ne l'a pas. On adopte donc un processus totalement quantitatif et linéaire, pour faire passer à la fois des contenus complexes et juger si les gens ont acquis une partie de cette complexité.
 
Il s’agit, dans ce cas, de la démarche encyclopédique classique. Pour moi l'encyclopédisme est comme un gratte-ciel, avec beaucoup d'étages, de nombreuses pièces, et une infinité de couloirs. Ainsi la pièce consacrée à l'immunologie analytique par exemple, s’appelle « Pièce 423, couloir 12, étage 28 ». Et quand naît une nouvelle discipline, on ajoute une pièce, un étage et un couloir.
 
L'approche systémique est tout à fait différente. Elle se concentre sur l'interdépendance des facteurs, sur le fait que l'on peut, dans une discipline, trouver des éléments communs à une autre. L'approche systémique, à la différence du gratte-ciel, est comme une sphère ou comme un point qui brasse en permanence tous les éléments de la connaissance. Par exemple, la biologie et les feedbacks en biologie, la cybernétique de la biologie peuvent aider à mieux comprendre les feedbacks et la cybernétique de l'économie. Les grands cycles en écologie et les régulations de ces cycles peuvent aider à mieux comprendre le métabolisme cellulaire car les principes de la cybernétique sont communs aux sciences sociales, aux sciences écologiques ou aux sciences chimiques.
 
Il y a donc des données transversales qu’a fait ressortir la systémique. Je vous renvoie à plusieurs livres dont « Le macroscope ». Et aussi aux ouvrages d’Edgar Morin et d'autres auteurs. Ils disent qu’au lieu d’adopter une démarche analytique et encyclopédique, on pourrait aussi faire sienne une démarche systémique. Elle permet de regrouper les connaissances et de former des « invariants », tenant compte bien entendu des mathématiques, de l'informatique, de la théorie et de la dynamique des réseaux, de la théorie du chaos, et de toute une série de domaines permettant de croiser les disciplines entre elles et de les rapprocher. 
 
J'ajouterai l'éducation fractale.

Qu'est ce qu’une structure « fractale »? Ce terme a été créé par le mathématicien français Benoît Mandelbrot. Il signifie qu’une structure reste la même, quelle que soit l'échelle d'observation choisie. Du micro au méso, du méso au macro, les structures restent les mêmes. Ainsi une fougère. Si vous observez une petite partie de la fougère, la feuille dans son ensemble ou un massif entier, ce sont les mêmes structures qui se répètent à l'infini, à la manière des poupées russes.
 
Je dis et j'expérimente aussi que l'éducation, au lieu d'être purement linéaire, peut être fractale. Dans votre premier cours vous résumez tout votre enseignement de l'année. De même dans l’introduction d’un article de presse : les 10 premières lignes renferment le contenu de celui-ci. Ensuite, on décline en spirale. On revient, on revient encore, pour que les élèves comprennent quel sera le contenu pendant toute l'année. Ce qu’on veut leur dire et comment cela se situe par rapport à leurs préoccupations. 
 
 Voilà quelques approches nouvelles sur les méthodes et les contenus. Vous le comprenez, je ne souhaite pas favoriser les maths ou l'écologie plutôt que l'informatique. Je dis simplement qu'on peut faire des maths, de l'écologie ou de l'informatique à condition de trouver des sujets globaux. Des sujets qui permettent de descendre, par le haut de la pyramide, vers des éléments de base de la formation plutôt que de commencer par le bas de la pyramide, à apprendre toutes les disciplines dont on aura besoin pour arriver en haut. Même si la pyramide s’ouvre vers une autre orientation, sous l’influence d’une vocation révélée en cours de route. 
 
4- Mon quatrième point développe un « système pédagogique »

Venons-en à des propositions.
Pour mettre en œuvre l'éducation systémique ou fractale, le réseau de communication dans lequel le professeur est un catalyseur et un médiateur, nous devons considérer la classe comme un système de communication humain, un système de relations humaines. Dans ce système, plaquer des technologies non seulement n'a pas d'effet, mais peut, au contraire, désorganiser le réseau de relations humaines de la classe. Il est donc important d'avoir présent à l'esprit ce que j'appelle le « système pédagogique classe » Cela veut dire que le médiateur enseignant devra se forger un projet pédagogique, quels que soient la classe et l'âge, et en fonction de ce projet pédagogique choisir les technologies les mieux adaptées pour le mener à bien. 
 
Les technologies les plus porteuses pour renforcer un projet pédagogique sont celles qui permettent les interactions rapides, le temps réel, la recherche d'informations, la confrontation des informations. Le contact et les réseaux avec d’autres élèves, à d'autres lieux, par l'Internet ou les réseaux wifi ou airport… Ces systèmes sans fils qui permettent aujourd'hui de communiquer. La messagerie, les forums et pourquoi pas (j’insiste sur ce point car je considère qu'on n'a pas fait assez d'expériences pédagogiques sur la messagerie instantanée que beaucoup de jeunes utilisent mais à des fins non pédagogiques), le SMS, le MSMS avec les téléphones caméras, ces domaines qui, il est intéressant de le constater, ont été proposés par les utilisateurs eux-mêmes : SMS, wifi, IM, P2P, téléchargement de musique, de films, chat, ou e-mail,... Ces applications ont été promues par les usagers et non par les industriels, les pouvoirs publics ou les gouvernements,... Ils ont, certes, proposé des logiciels et des matériels, mais ce sont les gens qui les ont récupérés, réutilisés.
 
Nous n’avons pas su développer les infostructures plutôt que les infra structures. On développe des infrastructures visibles, des fibres optiques, des réseaux de télécommunications, réalisations que l'on peut inaugurer de manière très médiatisées. Mais les infostructures, c'est ce qui met les gens en contact. Et ce sont leurs utilisateurs qui les ont développées eux-mêmes.
 
Nous n’avons pas encore su franchir le pas et utiliser des outils essentiels aux jeunes pour la pédagogie et l'enseignement. Même si le dessin animé et les jeux vidéo entrent progressivement dans les programmes scolaires. Le projet pédagogique du professeur doit savoir sélectionner, selon les cas, l'Internet, le DVD, des jeux interactifs, voire des jeux de rôle, la wifi, les PDA, et les téléphones portables. Et ceci en sorties, hors de l’école, en groupes d'exploration nomade, afin de créer un petit réseau d'intelligence collective qui exploite globalement, sur le terrain, des éléments que le professeur propose et met en valeur, en vertu de son rôle de catalyseur plutôt que de détenteur essentiel et unique des connaissances. 
 
Au nombre des technologies du futur, il faut évidemment mentionner l’e-education ou le e-learning. Beaucoup de personnes, notamment aux USA, pensent que le e-learning va remplacer certaines classes. Je ne suis pas de cet avis.
 
Je vois Internet et l'intranet au centre d'une sorte de matrice. Vers le haut de celle-ci se situent les technologies les plus sophistiquées; vers la gauche, celles qui touchent le plus de monde. Vers le bas, les technologies les plus simples et, à droite, celles qui touchent une seule personne.
 
Par exemple, en haut à gauche, on trouve l’enseignement par satellite, sophistiqué et qui touche beaucoup de monde. En bas à droite sont placés le livre et le tuteur qui s’adressent à une personne. Dans cette matrice est regroupé l'ensemble des moyens pédagogiques actuels : depuis l'ordinateur jusqu'au livre. De la conférence ex cathedra, au séminaire, à la classe, ou au cours. A mes yeux, le e-learning est un carrefour permettant de choisir, « à la carte », grâce à l'Internet et à des logiciels adéquats, les produits et les services éducatifs adaptés à certains publics. Mais il n’est pas envisageable de substituer l’un à l’autre, puisqu'on aura toujours besoin de la relation humaine, du contact, de l'émotion, de la sensibilité. L'électronique n'y changera rien et ne les remplacera évidemment pas.
 
Enfin le dernier point que je souhaiterai aborder va nous entraîner vers les valeurs et la culture au sens large. 
 
5- Enseigner aujourd'hui ce n’est pas seulement transmettre des connaissances, c’est contribuer à la culture.


Qu'est ce que la culture ? A chacun sa définition, évidemment. Pour moi, la culture est un ciment qui permet de réunir les éléments épars d'un monde disjoint, d'un monde que nous recevons par bribes. Par l'école, les disciplines analytiques, les médias, la télévision, nous recevons des fragments de faits, des parcelles d'éléments… La culture est ce ciment qui va nous aider à intégrer. Oui, pour moi la culture c'est l'intégration. A tous les niveaux. Qu'on soit très cultivé, ou pas cultivé... (Attention ! Je ne crois ni à la seule culture des «cultivés » ni à celle des « spécialistes ». La culture des cultivés, est celle de personnes qui savent des petits riens sur tout. Et la culture des spécialistes est l’apanage de ceux qui savent tout sur des petits  riens). 


Pour moi la culture, n'est pas de savoir rien sur tout ou tout sur rien. C'est être capable de situer des faits dans un contexte évolutif qui donne du sens ou non à sa vie par son action, et surtout par l'évaluation de son action. Cela peut caractériser quelqu'un de très simple, de frustre, qui a une culture du terrain, de la nature, et qu'on ne mesure pas avec un quotient intellectuel mais plutôt avec un quotient émotionnel. 
 
Transmettre cette culture ne peut donc se faire qu'en fonction de valeurs. 
 
Alors apparaît le lien entre culture et valeurs. Les valeurs ne se décrètent pas. Elles émergent, comme l'éthique, d'une relation partagée en réseau. Elles ne sont pas révélées. Il s’agit d’un phénomène à la fois immanent et émergent qui résulte de la communication en société. Par conséquent on peut, ensemble, construire des valeurs à l'école, dans la famille, qui permettent de hiérarchiser les priorités, de donner du sens à ce qu'on fait et aussi de choisir les informations qui sont pertinentes pour la vie et pour l’action. 
 
Les enseignants peuvent beaucoup aider à aller dans le sens de cette nouvelle vision de l'éducation. Nous sommes aujourd'hui soumis à un grand risque, celui de « l'info pollution », c'est à dire que la complexité du monde entraîne une complexité de l'information. Nous avons du mal à privilégier tel article plutôt que tel autre, tel livre plutôt que tel autre... Or si nous disposons d’une échelle de valeurs, si nous avons su créer un « capital temps », alors nous avons les moyens de lutter contre l’info pollution et de choisir les informations les plus pertinentes pour notre action.
 
En conclusion, je ne crois pas à la classe high tech. La relation humaine, c’est l’essentiel. Les nouvelles technologies ne sont pas seulement des « Technologies de l'Information et de la Communication » (TIC), mais surtout des « Technologies de la Relation » (TR).
 
L’e-mail, le téléphone portable, l'Internet, ne sont pas des TIC mais des TR. La relation est donc essentielle. Elle peut, certes, passer par les technologies mais elle se renforce par le contact humain. 
 
Il faut catalyser et créer un environnement qui motive, qui excite la curiosité et donne envie d'aller plus loin : c'est le projet pédagogique, le système de communication pédagogique. 
 
L’œuvre de l'enseignant, du professeur, est d'aider les personnes à faire de leur vie un original, c'est à dire une vie unique et non une copie d’autres vies.
 
Nous n’avons qu’une vie. Autant en faire une belle oeuvre.