La France ne doit pas rater ce marché estimé à 200 milliards de dollars en 2020.
Éditorial de Nicolas BAVAREZ . Le Point du 11 juillet 2013 >>>
"L'éducation jouera un rôle clé dans l'économie de la connaissance du
XXIe siècle. Elle permet la constitution, l'accumulation et la
transmission du capital humain, donc les gains de productivité du
travail qui décideront de la reconstitution de l'appareil productif des
pays développés comme de la capacité des pays émergents à poursuivre
leur développement. Elle conditionne l'innovation, donc la principale
source de croissance aux côtés de la consommation des nouvelles classes
moyennes du Sud. Elle décide largement du niveau de l'emploi dès lors
qu'elle demeure un antidote au chômage et se révèle décisive dans la
lutte contre l'exclusion et les inégalités. Elle constitue l'une des
réponses au vieillissement à travers la formation tout au long de la
vie, indispensable à l'allongement et à la diversification des carrières
professionnelles.
L'éducation supérieure a connu trois grandes
transformations depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : la
démocratisation, avec l'évolution vers un enseignement de masse dans les
pays développés ; l'ouverture internationale et la normalisation des
cursus universitaires (licence, maîtrise, doctorat) ; la mondialisation,
qui a vu en 2012 les pays émergents former 73 millions de diplômés,
contre 69 millions pour les pays développés.
Pour autant, les
institutions, l'organisation et les méthodes de l'enseignement supérieur
restent largement ancrées dans les principes élaborés en Europe
au XIXe siècle, ce qui soulève de plus en plus de difficultés. La
percée des universités chinoises ne remet que partiellement en question
le quasi-monopole de l'Occident dans les pôles d'excellence mondiaux.
D'où une difficulté d'accès aux formations les plus réputées, notamment
pour les populations, les pays et les continents les plus pauvres -
notamment en Afrique.
La hausse du nombre de diplômés du supérieur de 4,5 % dans les pays
développés ne parvient pas à répondre au déficit des qualifications dans
les secteurs d'avenir et aux besoins de formation permanente pour
prolonger la vie active - et ce d'autant que les cursus sont peu
compatibles avec les exigences d'une activité professionnelle ou les
contraintes familiales qui pèsent en priorité sur les femmes.
L'organisation hiérarchique des institutions universitaires et les
méthodes pédagogiques traditionnelles se révèlent en porte-à-faux avec
les idéaux et les moeurs d'une jeunesse ouverte sur le monde et vivant
au rythme des réseaux sociaux.
Au même moment, le modèle
économique de l'enseignement supérieur se trouve déstabilisé. Les coûts
des formations s'envolent : aux États-Unis,
ils atteignent 25 000 dollars par an en moyenne, soit une hausse, en
dix ans, de 42 % dans les établissements publics et de 31 % dans les
établissements privés. Or les financements publics et privés rencontrent
des limites évidentes. Les budgets publics, qui représentent en moyenne
dans l'OCDE 6,1 % du PIB, dont 1,5 % pour le supérieur, peuvent
difficilement continuer à croître alors que la dette publique culmine à
111 % du PIB. La hausse des frais de scolarité nourrit par ailleurs aux
États-Unis une bulle des emprunts pour étudiants dont l'encours dépasse 1
100 milliards de dollars, et ce alors que les taux d'intérêt sont en
passe de doubler : Barack Obama et sa femme, Michelle, n'ont ainsi
achevé de rembourser la dette contractée pour leurs études qu'en 2004.
Par ailleurs, l'installation d'un chômage de masse dans les pays
développés, qui frappe fortement les jeunes, comme l'instabilité et la
discontinuité croissantes des carrières remettent en question la
rentabilité de l'investissement dans les diplômes. Avec, pour
conséquence, la montée des défauts sur les emprunts pour étudiants dont
le taux atteint 11 % aux États-Unis.
L'enseignement en ligne ou
MOOC, pour massive open online courses, constitue une révolution qui
n'en est qu'à ses débuts mais peut aider à relever ces défis. Elle
s'effectue en trois temps : la mise en ligne des cours magistraux des
professeurs les plus réputés qui a commencé au MIT dès 2000 ;
l'organisation de cursus complets et leur validation sur Internet ; la
création d'universités en ligne dont les pionniers sont Coursera, qui
propose à 3,8 millions d'étudiants situés dans 196 pays 380 cours issus
de 80 universités, edX (50 cours de 27 institutions d'excellence) ou
Udacity.
L'enseignement en ligne autorise un très large accès aux
institutions et aux enseignements d'excellence pour un coût marginal par
étudiant. L'inscription aux cours est gratuite ; seule l'inscription à
l'examen est payante, mais pour un coût très modéré (de 30 à 50
dollars). La pédagogie est bouleversée par la réorganisation des cours
en modules et leur production devant les caméras. Le professeur et la
classe, loin de disparaître, voient leur rôle transformé. Le professeur
n'est pas remplacé par un robot mais effectue la production et la
transmission du savoir en amont. Les étudiants acquièrent les
connaissances avant la classe virtuelle, qui devient un lieu de tutorat
et d'interaction entre professeur et élèves. La flexibilité de
l'organisation facilite l'ouverture à la recherche ou à l'entreprise,
comme la formation permanente. En un mot, l'enseignement en ligne peut
rompre avec le malthusianisme et l'inflation des coûts en réconciliant
l'excellence des institutions et des formations avec une ouverture large
de l'accès au savoir.
Voilà pourquoi la France doit investir sans
tarder dans un secteur d'avenir dont le chiffre d'affaires pourrait
représenter 200 milliards de dollars à l'horizon de 2020. Notre pays
dispose d'importants atouts pour ne pas en abandonner le monopole aux
géants américains en gestation : des grandes écoles et des universités
qui sont à la fois des pôles d'excellence et des marques reconnues
mondialement ; un formidable réservoir de capital humain ; des sociétés
de services informatiques dynamiques ; enfin, le français, troisième
langue dans le monde, qui unit 220 millions de personnes aujourd'hui
mais qui en unira plus de 800 millions en 2050. Il est donc grand temps
de repenser l'enseignement supérieur comme un secteur productif à forte
valeur ajoutée, intensif en technologie, tourné vers l'excellence et
l'exportation.
Avec l'économie de la connaissance, l'éducation
devient un droit fondamental de la personne humaine. L'Occident n'en a
plus le monopole, mais peut continuer à jouer un rôle majeur dans
l'universalisation de l'accès au savoir. La France, qui a subi en
spectateur les grandes transformations de la mondialisation et de
l'après-guerre froide, doit se positionner comme un acteur à part
entière de la révolution de l'éducation en ligne."
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