Un texte de Marc Le Bris, paru dans Causeur.fr >>>>
L’école française est déjà bien malade de ses réformes passées, mais de celle-ci, elle ne pourra sans doute pas se remettre.
La réforme dite des rythmes scolaires est rejetée massivement par les
parents, les enseignants en poste et les élus locaux, de droite comme
de gauche. Avec raison.
La responsabilité individuelle du ministre est mise en avant, son
passage en force, la forme brutale et improvisée, trop rapide, le manque
de financement… On lui demande de lever le pied, de donner des délais,
de mieux financer. Mais personne, ni les syndicats qui en sont les
inspirateurs, ni les politiques qui soutiennent ce ministre-ci ou bien
son prédécesseur qui préparait la même réforme, n’en tire la conclusion
qui s’impose : le retrait de ce texte calamiteux.
Au-delà de la forme, bâclée et brouillonne, c’est le fond de cette
réforme qui la rend impossible : cette réforme scolaire lutte contre
l’école elle-même.
En effet, et je ne sais pas si le ministre en a même conscience,
cette réforme s’attaque de front à l’Instruction. Elle prétend remplacer
les sages et patientes heures de lecture et de calcul par des
« ateliers » d’activités de colonies de vacances, ou bien de didactique
municipale sur le tri des déchets. Tous les décideurs ont semblé penser,
une fois de plus, que n’importe quelle activité ludique, n’importe quel
parc de loisirs, apporterait plus de bonheur, et donc plus de progrès
intellectuel et moral à l’ « Enfant ». L’école scolaire, le temps
exigeant qu’on y passe, et leur cortège de lectures, de dictées, de
tables de multiplication, et même de notes quelquefois sévères, seraient
directement la cause de l’ « Échec Scolaire ». Un peu comme si le
dentiste était la cause des caries. Alors, depuis quarante ans
maintenant, tout le personnel non enseignant du ministère et de ses
syndicats, tous les idéologues de l’éducation, les pédagogues et les
sociologues, et finalement les enseignants en poste plus ou moins
persuadés par leur propagande, tout le monde essaie, sans en avoir
vraiment conscience, de supprimer l’école dans l’école. C’est la
quadrature du cercle. Imaginez un terrain de foot où personne n’a plus
vraiment le droit de marquer des buts … Eh, bien c’est l’école
d’aujourd’hui, prônée sans dictées, sans lecture alphabétique, sans
écriture des lettres en maternelle, sans notes, sans calcul mental …
Toutes activités scolaires que beaucoup d’enseignants ont pratiqué
malgré tout, parce que c’est tout simplement le plus nécessaire et le
plus simple …
Et voici que tout à coup, parce que les enseignants n’étaient pas
encore assez ludiques, on charge des animateurs plus ou moins dévoués,
de pratiquer à leur place, aux heures scolaires de l’an dernier, dans
les classes, en en chassant le maître qui y restait pour préparer
l’école du lendemain, des « ateliers » d’art de rue ou d’autres
activités hurlantes et débridées, aux dépens des bibliothèques,
affichages, coins-sciences et autres coins-lecture si soigneusement
fabriqués par les instituteurs. C’est une sorte de Disneyland pauvrement
improvisé qui entendrait dépasser Marcel Camus.
Les animateurs sont débordés, les enfants sont exténués de bruit et
d’excitation stérile, les enseignants se sentent « virés » de leur
classe et de leur légitimité, leurs élèves sont devenus encore plus
incontrôlables et les petits de maternelle souffrent très évidemment.
Les directeurs d’école passent des heures à l’organisation de listes et
d’appels tellement infinis qu’il n’est pas rare qu’une petite fille ou
deux soient relâchées à la rue par accident ; quand cette remise à la
rue n’est pas directement imposée aux parents même pas rentrés du
travail … Les parents affolés courent de-ci, de-là, après des enfants
aux horaires scolaires variables ; ils essaient de trouver des
arrangements impossibles avec leurs employeurs … Certains -en particulier des enseignants-parents-,
cherchent déjà une école privée qui pourrait échapper à ces rythmes
infernaux. Et tout ceci pour un coût supplémentaire très lourd, qui sera
à terme entièrement à la charge des communes ?
C’est une gabegie, un cirque dangereux et insensé, organisé par
idéologie, seulement pour soutenir un ministre qui n’a absolument aucune
idée des besoins réels des écoles, qui n’a aucune analyse de ce qui s’y
passe, qui a même baptisé « refondation » sa médiocre loi de
continuation de ce que l’Éducation Nationale subit de pire depuis
quarante ans : la dé-scolarisation de l’école.
Il ne suffit pas d’être socialiste pour réussir à faire tourner cette
maison du diable qu’est devenue l’Education Nationale. Il y faut une
analyse réaliste et un projet de remise au travail efficace, qui de
toute évidence manquent à ce ministre-ci comme elles manquaient à son
prédécesseur.
L’Ecole Française n’a pas besoin de réformes sans buts, elle a
besoin, grand besoin, urgent besoin, de méthodes de lecture
alphabétiques, de calcul mental et de dictées, d’écriture des lettres
une à une en maternelle … et d’une méthode générale de recherche
d’efficacité qui ne peut passer que par la responsabilisation
individuelle -et la liberté pédagogique qui va avec- de chaque
enseignant, et plus encore de chaque directeur d’école. Il faut
réhabiliter l’Instruction Publique, avant que l’Éducation Nationale ne
la vide de son sang. Il faut retirer ce texte. Les considérations
politiciennes, les carrières politiques, ou les blessures d’amour-propre
ministériel ne pèsent rien devant l’intérêt de nos enfants. Abroger,
retirer, annuler, sortir de ce bourbier … Voilà ce qu’il faut faire
maintenant, le plus proprement possible.
Marc Le Bris
Marc Le Bris